Relire la Chronique française

Une œuvre injustement oubliée

Le recueil sommaire de la Chronique Françoyse figure dans six riches volumes manuscrits, pourvus de miniatures, conservés à la Bibliothèque Nationale de France (sous les cotes ms. fr. 2817 à 2822). Les trois premiers volumes de cette série ont été offerts à François Ier, les suivants semblent être fidèlement copiés à partir d’originaux perdus.

En dépit de son ampleur ou de la renommée de son auteur et de celle de son commanditaire, cette grande histoire ne fut que très partiellement éditée au début du XXe siècle par Henri Guy (environ 2500 vers sur les 25 000 que compte la Chronique composée par Cretin).

Qualifiée d’« échec » par C. Beaune y voyant une œuvre qui, faute d’avoir été imprimée ou écrite en prose latine, n’a jamais rencontré son public, tout porte au contraire à croire que la Chronique a été lue et goûtée durant, vraisemblablement, toute la première moitié du XVIe siècle. Pas moins d’une quarantaine de manuscrits comprenant un ou plusieurs livres de la Chronique ont été recensés à ce jour. Leurs cercles de diffusion (cour de France ou Sainte-Chappelle) ainsi que leur facture souvent soignée suggèrent la valeur accordée à l’auteur et à son ouvrage (voir la présentation des manuscrits).

Un intérêt historiographique sous-estimé

Malgré quelques sondages effectués par A. Slerca ou C. Beaune suggérant la pluralité des sources de Cretin, la Chronique française est souvent réduite à une simple mise en vers des Grandes Chroniques de France, rédigées au XIIIe siècle par les moines de l’abbaye de Saint-Denis et continûment copiées et augmentées depuis. Pourtant Cretin puise à des sources récentes parmi les historiens humanistes (Robert Gaguin, dans sa version traduite, ou encore Nicole Gilles) et s’inscrit à sa façon dans la réflexion sur le renouveau de l’écriture de l’histoire autour de 1500.

De plus, Cretin conçoit une œuvre en dialogue avec l’histoire présente. Soucieux de l’édification du jeune François Ier, Cretin multiplie jugements moraux appuyés, digressions en apparence anecdotiques, aveux d’ignorance par endroits, ou encore éloges marqués en faveur de la monarchie de France. Autant d’entorses à une démarche proprement historienne (selon notre définition moderne du terme), que l’éditeur Henri Guy a vivement reproché à cette chronique, mais qui constituent précisément ce qui en fait l’intérêt. En écrivant l’histoire du passé, c’est un jugement sur le présent que Cretin contribue à forger.

Une véritable ambition poétique

Si Henri Guy a qualifié les vers de Cretin de « laborieux » ou que la base Jonas fait de la Chronique en vers une « masse illisible », des indices suggèrent pourtant que le texte a été reçu comme l’œuvre d’un poète accompli. Dès 1529, l’humaniste Geoffroy Tory compare Cretin à Virgile et Dante. D’un livre à l’autre, le poète de François Ier raffine sa technique poétique et semble puiser aux différents genres à la mode pour enrichir l’écriture de l’histoire de France : tableaux cynégétiques, séquences épistolaires nourries des héroïdes à la mode, combats épiques. Tout porte à croire que, loin d’être un pensum imposé par la couronne à Cretin, ce dernier conçoit l'écriture de la Chronique comme la synthèse ambitieuse d’une œuvre puisant dans le fonds français médiéval mais ouverte à la modernité.

Voir la bibliographie des travaux passés et en cours sur la Chronique française.